1. MEDECINE ET SOLIDARITE


SOLIDARITÉS et INNOVATIONS en SANTE.

Les lois du marché et les nouvelles règles de fonctionnement sanitaire sont elles compatibles ? 

Philippe Renou

 

Que les systèmes de santé européens soient d’inspiration bismarckienne ou beveridgienne, ils sont, depuis la seconde guerre mondiale, les descendants directs d’un compromis entre deux dynamiques, l’une socialiste de solidarité dans la Santé, l’autre libérale de la liberté d’exercice médical.

Avec leur histoire propre, leurs  budgets  propres, et leurs projets sanitaires tant préventifs que curatifs, ces systèmes ont permis  l’amélioration considérable des soins et des techniques et leur large  diffusion aux populations, grâce à ce que l’on appelle encore l’État-Providence.  Diminution significative de la morbidité et de la mortalité, augmentation de la durée de vie globale et pas seulement de l’enfance, ces progrès ont été possibles grâce principalement à la croissance générale de l’économie de marché, mais aussi grâce à une plus grande solidarité devant la santé, c'est-à-dire les soins de tous en fonction de leurs besoins et pas seulement en fonction de leurs possibilités financières. Ce sont tous les citoyens bien portants, riches ou pauvres qui cotisent pour les citoyens devenus patients, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, malades aigus ou chroniques, handicapés…

Avec la crise pétrolière des années 70, puis la dérégulation planétaire et le néolibéralisme reaganien et thatchérien, le compromis entre solidarité et liberté est devenu difficile à maintenir. Les défenseurs d’une dynamique keynésienne ont été considérés comme étant trop dirigistes et surtout trop tributaires des États « régulateurs ». « L’État n’est plus la solution, il est devenu le problème » a déclaré dans les années 80 le président des États Unis d’Amérique. Dans ces conditions, les vieux pays européens, riches de leurs expérience sociale-démocrate en matière de santé, n’ont pas trouvé de meilleure façon  d’améliorer les performances en Santé, que d’introduire à différents niveaux une concurrence dans le secteur libéral mais aussi dans les hôpitaux devenus des « hôpitaux Entreprise », sans se demander si cela était bien le meilleur moyen d’améliorer morbidité et mortalité dans leurs territoires respectifs !  

Parallèlement, une véritable explosion des innovations s’est développée, tant en ce qui concerne les techniques que les moyens de communiquer et les thérapeutiques nouvelles. Cela a fortement contribué à complexifier les procédures de diagnostic et de traitement ,nécessitant le financement et le développement de réseaux de soins et de recherche , de plans personnalisés de soins et de suivi à court, moyen et long terme .La question devient alors : faut-il prioriser la coopération ou la concurrence ? Comment concilier solidarité, égalité (des soins) et liberté ? L’innovation peut elle être proposée à tous ou seulement à ceux qui peuvent payer ? Comment réduire les inégalités sociales, financières et/ou territoriales ? Peut- on maintenir les avantages anciens de l’État Providence, soudain devenu sinon obsolète,  du moins démodé ?  La question est capitale, car le monde nous regarde et ce n’est pas la « dynamique Trump » en matière de Santé qui peut servir de modèle à tous les pays émergents à qui la dérégulation financière et économique a été massivement imposée, du moins dans les domaines non régaliens (tels la Santé…).

 

L’égalité c’est la santé, nous dit Richard Wilkinson. La santé n’est- elle pas alors un élément majeur de la croissance économique et du bonheur, si indispensables,  mais si mal répartis !! Chacun des thèmes évoqués dans cette introduction va être développé dans les mois à venir, en gardant le fil conducteur des besoins en santé et de la solidarité. On veut démontrer que les programmes sanitaires à long terme doivent garder leur spécificité et leur autonomie, au risque de perdre leur efficience et d’accroître les inégalités. Au fond, il s’agit bien de mettre « de la théorie dans les luttes pour les faire gagner en justesse et en efficacité »… 


FICHE DE LECTURE

André Grimaldi. Claude Le Pen

Où va le système de santé français ?

Éditions Prométhée, Collection « Pour ou Contre », 2010

 

Ce petit livre (12,5 x19) de 124 pages est remarquable et, à vrai dire, unique. En effet,

dans l’esprit de la collection, deux experts connus et reconnus, l’un médecin, l’autre

économiste, exposent alternativement leurs analyses et leurs points de vue sur les grands

problèmes de Santé actuels : quel lien entre Économie et Santé ? Quelle réponse à

l’innovation (diagnostique et thérapeutique) ? Quelle réponse économico-sanitaire à la prise

en charge de la Prévention, mais aussi de la maladie chronique ? Quelle Solidarité pour tous

les citoyens, malades potentiels ? Quel type de financement ?

Bien entendu, au-delà des sensibilités plutôt sociale ou plutôt libérale des

protagonistes, il faut souligner leur compétence et leur longue expérience, l’un en Économie,

l’autre en Santé (hospitalière et publique), et surtout leur grande honnêteté intellectuelle. Il

n’est pas question de trouver des accords formels ou théoriques, mais de reconnaître les

dynamiques souvent divergentes entre l’Économie de Marché et le Sanitaire

(indissolublement lié à l’économie) : concurrence ou coopération ; réduction prioritaire des

déficits ou réduction de la morbidité et la mortalité ? (…)

Hormis un accord mutuel pour maintenir dans nos pays développés à la fois la

Solidarité et L’Innovation en Santé, les auteurs, après avoir exposé les problématiques

actuelles, penchent, l’un pour une vision plus économico-libérale, l’autre pour une vision plus

médico- sociale. Ils ont la sagesse de laisser le lecteur faire « ses » choix dans un domaine où

L’Europe depuis les années 1945 a acquis une grande expérience, sans pour autant

méconnaître la nécessité d’une évolution des « couples » environnement/globalisation ;

économie/santé ; croissance /justice sociale.

Dr Philippe Renou